Des livres et des arbres

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Quand j’étais petite, j’adorais grimper aux arbres. Des épinettes, des pins, des érables… Rares étaient les arbres qui me résistaient. En fait, il y avait bien les ormes d’Amérique (qui commençaient à être décimés par la maladie de l’orme hollandais, hélas), dont le port de branches en parasol à grande hauteur rendait l’expédition périlleuse!

Certaines espèces d’arbres ont des troncs qui montent très haut, droits et lisses, avant d'arriver à la première branche. Je pense aux baobabs, ou bien plus près de nous, aux pins de Douglas ou aux sequoias qui culminent à deux cents pieds!

Au cours de leur croissance en forêt, les branches basses des conifères se dessèchent et tombent, l’arbre investissant son énergie vers le haut. Sans équipement spécialisé d’escalade, impossible de grimper un tronc sans la moindre prise.

De l’arbre au livre

Imaginez un grand arbre feuillu…

Un bon livre ressemble à un arbre qu’on escalade, d’une branche à l’autre, jusqu’à atteindre la cime. Quand on a fini un livre satisfaisant, quel plaisir d’admirer le paysage tout autour!

Du bois au livre, nous connaissons le trajet industriel de la production de papier.

Mais voila, les livres comme les arbres arrivent dans différents formats, certains plus faciles à grimper que d’autres. Il y a des arbres plus haut que d'autres, plus ou moins touffus, dont le port de branches varie, certains fils d’intrigues étant bien entrelacés!

Je me souviens d’un roman dont le premier chapitre présentait une quinzaine de personnages, en bloc, avec leurs noms... et aucun ne revenait dans l’intrigue à une exception près. D’autres choix narratifs peuvent décourager un lecteur ou une lectrice, tout comme un arbre de grande taille au feuillage inaccessible peut convaincre un grimpeur d’essayer ailleurs.

Et ça dépend aussi de la lectrice. Je n'avais pas peur de grimper des arbres sans branches quand j'étais plus jeune et je me battais contre mille obstacles pour terminer un roman rébarbatif.

 Un feuillage trop touffu

Dans mes premiers romans de science fiction, je tenais ab-so-lu-ment à détailler la mécanique des réacteurs de mes vaisseaux spatiaux. Ces descriptions trop touffues freinaient le déroulement de l’intrigue, trop de branches entremêlées qui barrent le passage vers la cime!

Je tendais à rendre mes histoires complexes, influencée par certains romans adultes que j’avais lus, où des looooongues descriptions semblaient nécessaires. Au temps de Balzac, Jules Verne et Charles Dickens, les auteurs étaient payés au mot, et en l’absence de la concurrence de la télé et d’Internet, alors les romans avaient le rythme d’un long fleuve tranquille, avec quelques remous.

Les éditions récentes de ces livres destinés à la jeunesse ont d’ailleurs passablement coupé dans les descriptions, sinon aucun jeune d’aujourd’hui ne lirait la version originale des Trois Mousquetaires d’Alexandre Dumas. Dans le premier chapitre, une page entière était consacrée au cheval jaune que chevauche le jeune d’Artagnan, canasson qui disparaît complètement de l’histoire par la suite.

Le terme littéraire « brosser un tableau » témoigne de cette tendance à l’époque.

Idem pour les trois pages de descriptions des poissons qui nagent devant le hublot du salon du Nautilus. Poissons décrits par le narrateur (qui n’est pas biologiste, mais un gentleman éduqué) avec leurs noms latins s’il-vous-plait! Si certaines personnes ne craignent pas de s’attaquer à un arbre au tronc dépourvu de branches, d’autres se décourageront et rechercheront des arbres plus courts!

La direction littéraire émonde…

Donc, que faire du manuscrit pour rendre accessible la bonne histoire qu’il contient?  Souvent, la direction littéraire encourage à couper les branches en trop d’un roman trop touffu.

La personne qui dirige la révision littéraire n’est pas nécessairement un écrivain, mais je peux vous garantir que c’est quelqu’un ou quelqu’une (il y a une majorité de femmes dans ce créneau) qui aime LIRE. À force de lire des manuscrits, cette personne finit par attraper le microbe et se met à écrire, aussi!

Et plus votre réviseur-e littéraire a lu, de préférence dans le genre publié par la maison, plus ses sens seront aiguisés et capable de détecter les obstacles à la compréhension du récit.

Ça peut-être autant des paragraphes lourds, inutiles, une entourloupette inutile. Kill your darlings, disait Stephen King. En émondant notre arbre, on aide à éclaircir les tenants et aboutissants de l’histoire.

L’usage de mots ou d’un jargon technique obscur ou, dans le cas de la science fiction ou du fantastique, des mots inventés, nuit aussi à l’ascension du lecteur dans notre arbre.

 

… Et ajoute des branches!

Le rôle de la direction littéraire consiste à faire pousser sur ce tronc trop lisse des branches plus basses qui permettent le lecteur de s'accrocher et de s'élever pour enfin arriver au sommet.

Il peut s’agir de courtes phrases explicatives, d’un lourd paragraphe déplacé, ou, pour pallier au problème de mots peu familiers de la SF, de l’ajout d’un lexique, qui sera comme une échelle de corde menant à la frondaison.

Et si l'autrice laisse de beaux fruits mûrs dans cet arbre, c'est encore mieux, on a envie d'y grimper pour y goûter!

Michèle Laframboise

Michèle Laframboise explore toutes les saveurs de la crème glacée littéraire, avec une nette préférence pour la science-fiction et ses paradoxes. Le projet Ithuriel, publié aux éditions David, est un tel exemple d’anticipation sociale. La quête de Chaaas, qui suit un adolescent dans une civilisation de super-jardiniers, est un de ses univers de SF les plus aboutis. Son plus récent livre est Le secret de Paloma, aux éditions David, qui aborde la santé mentale sur un monde hostile.

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