La charge émotive d’un livre

Et oui, des fois, on se brûle aux pages d’un livre !

J’ai lu des histoires d’une grande tristesse, mais qui m’ont rendue meilleure, plus consciente des injustices. Mais que je ne relirais pas deux fois. J’ai aussi lu des récits qui se complaisaient à exploiter certains thèmes, et j’en suis ressortie brûlée, parce que mon bagage émotionnel était trop lourd pour monter à bord de cette histoire. (Et oui, je fais encore des cauchemars.)

Ce n’est pas de la censure. Simplement, ce bateau lèvera l’ancre sans moi à son bord…

La vie est trop courte pour se torturer à lire « cet ouvrage incontournable acclamé par les critiques », mais qui vous gruge. Laissez d’autres passagers embarquer. Et puis, il y a tellement d’autres bateaux qui sillonnent ces eaux!

Puiser dans ses émotions

Cette entrée en matière pour dire que je voue un grand respect aux autrices et auteurs capables de puiser dans leurs émotions personnelles et leurs cuisantes expériences de vie pour créer des œuvres marquantes. Moi je ne me sens pas encore capable de remuer des émotions troubles.

Une fois, j’avais commencé un roman presque autobiographique, Le Saule, qui raconte l’histoire l’histoire d’une âme sensible (oui, justement, celles qui doivent s’abstenir). Le saule du titre est un arbre que j’aime bien, car ses branches ont l’air de pleurer sur le sort du monde.

J’ai commencé la rédaction sur les chapeaux de roue, tout allait bien… puis, malgré ma tentative de fiction, le doute et sa cohorte de remords est entré en jeu. L’héroïne, comme l’auteure, avait constamment besoin de la validation des autres pour rembourrer son « oreiller de confiance ». Et j’ai vu comme un abîme se creuser, entre ma vérité intime, et ce que je pensais révéler au monde alors que j’étais adolescente. Mais je n’ai plus envie de me déchirer. Alors, j’ai laissé cette œuvre autobiographique en plan.

Combien le créateur tire de lui- ou d’elle-même de sa substance pour le mettre sur le papier ou l’écran? Et jusqu’à quel point le sujet va-t-il s’ajuster à la psyché de l’auteur?

Je ne manque pas d’imagination pour trouver des situations hor-ri-bles pour un protagoniste. Mais c’est l’investissement en temps, en énergie mentale, en introspection pénible qui me fait peur. En plus, il y a simplement des thèmes d’horreur que je me refuse à partager, parce qu’ils n’apporteraient rien de constructif à mes lecteurs. Enfin, la responsabilité et la liberté des auteurs font partie d’un grand débat, qui inclut aussi, parfois, le choix de ne pas écrire.

 

Les émotions-hérisson

Ce sujet de blog a surgi de lui-même quand j’écrivais mon précédent roman, Le secret de Paloma. Les émotions suscitées par la perte sont tellement hérissées!

Alouette, mon héroïne, éprouve même du ressentiment envers sa grande amie qui ne lui a rien dit. Et la jeune fille s’en veut, car elle n’a rien vu venir…  La colère donc prend le pas sur le chagrin. Pendant tout le roman, en plus de chercher la vérité sur ce qui a poussé Paloma au désert, une question lancinante taraude Alouette :

« Ai-je été une si bonne amie? »

« Ai-je été une si bonne amie? »

Et c’est une question que je me pose aussi devant les pertes, comme le décès d’un ou une collègue. Devant ce qu’on aurait pu faire pour éviter telle ou telle catastrophe. Devant les choses qu’on ne saura jamais.

Le deuil, c’est aussi celui des conversations qu’on n’a pas eue, et dont ne ne pourra jamais reprendre le fil. Et même quand on était proche de la personne partie. J’ai eu avec mon père tant de conversations, partagé tant d’enthousiasme, tant d’emportement…

Je pense que on pourrait mieux supporter la mort si on pouvait encore parler à cette personne, où qu’elle soit. Et c’est un sujet de récit fantastique, mais aussi de science fiction, quand on pourrait « télécharger » une bonne partie de notre personnalité en ligne. Ou que des intelligences artificielles pourraient reconstituer notre personnalité

 

La santé mentale

Et l’anxiété d’Alouette, la bipolarité de Pétrel, les déviances que certains montrent doivent être soignées.

Dans un petit groupe comme la colonie sur le monde hostile de Sérail, la pression est forte. Et certains ont décroché. La dépression frappe et pousse de gens à partir dans le paysage sans revenir. Le mot dépression est très lié au mot pression...

Et pour les survivants, les tâches de survie, l’absence d’avenir gruge leur estime de soi. Probablement tous les adultes se demandent « ai-je fait un bon choix? » Probablement que, vous tous aussi qui me lisez vous, vous vous posez la même question.

Une psychologue qui me suivait après un événement traumatisant survenu à mn école, m’avait déjà répondu, quand je lui ai demandé c’est QUOI, l’équilibre mental? Elle a dit, c’est d’être présent-e à toi et aux autres.

La santé mentale, c’est de cesser d’alimenter le flammes de la haine avec des préjugés. C’est de prendre le temps de réfléchir aux sources de nos habitudes mentales, de bien penser à ce qu’on va dire, est-ce vrai? Utile? 

 

La phrase la plus importante, pour l’espoir

On ne peux pas régler tous les problèmes du monde d’un coup, mais on peut faire des petites choses. On peut apprendre des autres. On peut se reconstruire, en choisissant de meilleurs matériaux.  Quand on aide, même une toute petite action, ça change quelque chose en nous.

Ça prend un village pour élever un enfant.

Ça prend aussi un village pour reconstruire un adulte abimé.

Si il y a une chose que je peux laisser en conclusion, c’est que je vous souhaite d’être présents, à vous-mêmes, et aux autres. Et de garder votre désir d’apprendre.

Michèle Laframboise

Michèle Laframboise explore toutes les saveurs de la crème glacée littéraire, avec une nette préférence pour la science-fiction et ses paradoxes. Le projet Ithuriel, publié aux éditions David, est un tel exemple d’anticipation sociale. La quête de Chaaas, qui suit un adolescent dans une civilisation de super-jardiniers, est un de ses univers de SF les plus aboutis. Son plus récent livre est Le secret de Paloma, aux éditions David, qui aborde la santé mentale sur un monde hostile.

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La foire aux idées